TU ES AUTEUR ET TU AS DÉCIDÉ DE TRAVAILLER AVEC LES MINEURS MIGRANTS. POURQUOI ?

Posté le 22 janvier 2017

Je vous l'avais annoncé il y a quelque temps, je commence des ateliers d'écriture avec de jeunes migrants mineurs. Cette expérience me bouleverse et m'enrichit. C'est pourquoi je tiens à la partager avec vous. Humblement. Pas pour en tirer des lauriers, mais pour que vous sachiez qui ils sont : de formidables oiseaux migrateurs.

Migrants.  En France, ce mot effraie autant qu’il intrigue. Nous savons d’eux à peu près tout et n’importe quoi, ce que les chaînes de télé, les radios, les journaux nous donnent goulûment. La sacro-sainte information. La liberté d’expression, de penser, d’avoir un avis. Amen, nous sommes en démocratie. Mais ces médias, aussi bien-fondés soient-ils, n’éveillent pas notre conscience humaniste, ils raniment notre compassion nationaliste. Notre social nationalisme. Ainsi, celui qui prétend aimer l’humain et détester voir les SDF français échouer sur nos trottoirs, démunis, affamés et morts de froid dans un pays comme le nôtre, son œil se mouille à peine devant les mineurs étrangers qui passent la nuit dehors en plein hiver. Ce n’est pas son problème. Ces gosses, ils ne sont pas de chez nous.

Mais nous sommes en démocratie, et si nous avons le droit de ne pas nous sentir concernés par ceux venus d’Afghanistan, de Syrie, du Tchad, d’Érythrée ou d’ailleurs pour se réfugier, nous avons aussi le droit de nous impliquer auprès deux.

C’est ce que j’ai choisi de faire.

L’année dernière, Maxime Gillio avec qui j’organise Envie de Livres*, me dit que Richard Angevin, le commanditaire, tient à intégrer à l’événement des ateliers d’écriture pour les gosses qu’il accueille à la MECS** de l’Artois. Max en a animés plusieurs deux ans plus tôt, il avait trouvé ça sympa. J’accepte.

Mon rôle était de guider les mômes sur le chemin de l’écriture, leur faire inventer une histoire, et créer un livret qu’ils allaient vendre aux visiteurs d’Envie de Livre. Les Galibots avaient entre 7 et 15 ans. Super motivés, ils se sont lancés à fond dans l’aventure. Je les ai vus rire, réfléchir, se disputer la meilleure idée, je suis restée muette devant leur fierté quand ils ont tenu le fruit de leur travail entre leurs mains. C’était une expérience extraordinaire que Richard confie à une autre auteur cette année, Delphine Dumouchel. Passer le relais me semblait normal, l’enrichissement n’en serait que meilleur pour les enfants de la MECS.

Vous savez, ces gosses, c’est quelque chose… Ils ont tous été séparés de leur famille après une décision judiciaire, la vie n’est pas facile pour eux. Quand on les rencontre, on comprend vite le manque affectif qui les transperce. Ils adorent qu’on s’occupe d’eux, leur accorde l’attention qu’ils méritent et, surtout, qu’on mette à contribution leurs capacités. Et Dieu sait qu’ils en ont !

Ils vivent dans un foyer, au cœur du château de la MECS, entourés d’animateurs, de psychologues, d’éducateurs. Ils vont à l’école, au collège, au lycée, ont un téléphone portable, un accès à Internet, mangent et boivent à leur faim, ils partent en vacances, visitent des musées, apprennent la vie sociale, voyagent, participent à des chantiers humanitaires au Sénégal, pleurent, rient, regardent la télé, dessinent, jouent aux jeux vidéo, vont sur FB…  Tout est fait pour qu’ils soient heureux et pas si en marge que ça. Richard et son équipe aiment ces gosses et décuplent pour eux une énergie exceptionnelle. Peu importe leur âge, d’où ils viennent, leur passé, leur caractère, ils sont tous égaux et ils le savent.

Mais pour Richard Angevin, la cause des enfants ne s’arrête pas là. Elle dépasse les frontières de l’origine, de la religion, de l’appartenance sociale. Les mineurs migrants ont aussi besoin d’aide. La destruction de Calais Jungle a laissé derrière elle des centaines d’enfants livrés à eux-mêmes. C’est intolérable. Il lui fallait en accueillir quelques-uns, leur offrir du repos pour leur âme déjà si cabossée… Les portes de la MECS de l’Artois se sont ouvertes pour quinze mineurs isolés non accompagnés âgés de 14 à 17 ans, et hier, j’ai rencontré six d’entre eux.

Richard m’a demandé de poursuivre l’aventure littéraire avec eux.

Mon cœur s’est arrêté un instant, quand il m’a fait part de son projet : les faire parler d’eux, leur faire raconter ce qu’ils voulaient, leur donner la parole.

J’ai eu peur. Pas d’eux, non, mais peur de ne pas être à la hauteur. Certes, j’avais déjà l’expérience des Galibots, mais là, c’était pas pareil. On parle de gamins qui ont vécu un déracinement, l’horreur de la guerre, les camps de réfugiés, Sangate… Calais Jungle. Non, ce n’était pas pareil. J’étais terrorisée, remuée, mais ô combien motivée.

Richard et Max m’ont prévenue que ce ne serait pas au goût de tout le monde, qu’on pourrait me reprocher mon implication. Richard a lui-même été la cible de gens si étroits d’esprit… Il a reçu des menaces et mots doux d’identitaires, des lettres anonymes « la roue tourne, la révolution arrive et bientôt, ce sera votre tour » et aussi « c’est triste de voir des migrants dormir dehors, j’ai une idée pour les réchauffer : lance-flamme ». Comme c’est petit, comme c’est laid, comme ils sont puants tous ces bien-pensants de l’extrême. Vous voulez mon avis ? Je les emmerde. Je prends parti. Je le dis. Je l’affirme. Je m’engage. Ces gosses n’ont rien demandé. Ils ont le droit de s’exprimer, d’être respectés et d’exister, et moi, de tendre une main vers eux.

Pourquoi est-ce que je le fais ? Parce que je suis écorchée vive par l’injustice, parce qu’aucun gamin ne devrait se retrouver dans une telle situation, que je suis en bonne santé, possède l’amour des miens, des biens, le respect, et qu’eux ont perdu beaucoup. Parce que je ne peux pas sauver le monde, mais ai conscience que, comme beaucoup, je détiens un pouvoir étonnant : celui de donner.

Et comme je vois la question arriver… Qu’est-ce que je fais pour les Français démunis ? Ce qui est à mon niveau de possibilités, sans prétention. Je participe à des ateliers dans des collèges de zones prioritaires, des maisons d’enfants. Je fais des dons aux Restaurants du Cœur, j’achète régulièrement un repas complet à un SDF, je donne les vêtements de ma fille devenus trop petits, les miens parce que j’ai trop grossi, je prends du temps pour discuter, partager, j’offre un livre, un café, des produits d’hygiène. Je ne suis ni une sainte ni un exemple, mais au cas où, il va falloir essayer de me piéger autrement.

Donc, hier, j’ai rencontré Aussine, Yaman, Isakh, Mohammad, Sharafat et AbdelKarim pour la première fois. Et c’était bien. Je vous raconterai ce premier et émouvant rendez-vous une prochaine fois.

En attendant, les garçons, merci. Oui, vous êtes de formidables oiseaux migrateurs.

Sophie Jomain

 

*Salon littéraire. La troisième édition d’Envie de Livres se déroulera le 4 juin prochain dans les jardins du château de la MECS à Sailly-Labourse (62). www.envie-de-livres.com

**MECS : Maison d’Enfants à Caractère Social.

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