Felicity Atcock, tome 1 : Les Anges mordent aussi.

EXTRAIT :

1


J’ai pour habitude de dire que dans la vie, il existe deux genres de personnes : les gentils et les méchants.
Moi, par exemple, je suis une gentille de la catégorie des bonnes poires. Je suis de celles à qui on demande un coup de main en étant certain qu’elle ne refusera jamais. Malgré tout, j’ai du caractère, mais je déteste faire de la peine. Vraiment. Je tiens ça de ma mère et je crois bien que c’est le seul truc pour lequel je ne la remercie pas. J’aurais pas mal de choses à raconter pour illustrer ce que je viens de dire, mais le plus parlant reste ce service que j’ai rendu à Daphnée durant l’été 2011. Daphnée Rosier, c’était ma collègue de travail française. Eh bien, depuis, ma vie n’a plus jamais été la même et je peux certifier qu’avant d’en rire, j’en ai versé quelques larmes.
C’était un mercredi 27 juillet, et ce soir-là, après le boulot – j’étais vendeuse au Plaisir des sens, un chocolatier réputé de Bath – j’avais la ferme intention de rentrer chez moi, dans mon cottage adoré perdu au milieu de nulle part, et de me faire un plateau télé : concombres, tomates-cerises et féta – je suis végétarienne. À peine arrivée à la maison, je me suis dépouillée de mes vêtements, j’ai pris une douche chaude, j’ai enfilé mon peignoir préféré et mes grosses chaussettes de ski en laine, j’ai cuisiné et je me suis vautrée sur le canapé. À priori, je ne devais plus sortir. Sauf que j’avais à peine englouti ma première bouchée de salade, lorsque Daphnée m’a téléphoné pour me supplier de l’emmener à Londres. Londres ! Plus de deux heures de route, et je bossais le lendemain. Je me suis renfrognée, mais au risque de me répéter, je suis bonne poire, j’ai dit oui sans même lui demander la raison de son urgence. C’était tout moi. En râlant, j’ai abandonné mon repas sur la table basse, je me suis traînée jusqu’à ma chambre, à l’étage, et j’ai ouvert la penderie. Daphnée arriverait dans moins d’une demi-heure.
J’ai d’abord mis des sous-vêtements couleur chair, puis j’ai opté pour un jean noir moulant. J’ai passé une longue tunique blanche et légère , puis je me suis donné un look plus dynamique en enfilant une paire de bottes s'arrêtant au-dessous du genou. Le résultat était sympa : élégant et un tantinet pirate sur les bords. J’avais fait le bon choix. Daphnée pourrait tout aussi bien m’embarquer dans les rues de Covent Garden à la recherche du dernier T-shirt à la mode, que me faire poireauter dans un club branché. Mais en réalité, j’aurais mis ma main au feu qu’elle avait encore prévu un cinq à sept, et en général, elle se débrouillait pour que son rencard vienne accompagné d’un copain, histoire que je ne m’ennuie pas. Sympa, sauf que je n’avais pas vraiment besoin. Je n'étais pas en train de me jeter des fleurs – j’ai hérité d’un d’un physique plutôt basique :taille moyenne, des petits seins, brune, des cheveux longs, ondulés jusqu’aux épaules, et des yeux marron qui tirent sur le cannelle –, mais il se trouve que chaque fois que j’entreprenais une relation sentimentale, elle virait inévitablement à la catastrophe. Ma dernière histoire de sexe notemment, n’avait pas été de tout repos. J’appelais ça du sexe, parce que je n'y avais pas décelé la moindre trace d'amour. Pour autant, je n’aurais pas voulu qu’on imagine que j’étais une fille facile ou sans cœur et que je ne cherchais pas le prince charmant, loin de là… Je le cherchais, mais je ne le trouvais pas. Je le soupçonnais de me détester sans même me connaître. Pauvre type !
Pour en revenir à cette aventure. Elle datait de, voyons, deux mois – résultat d’un rencard de Daphnée, justement. Elle n’avait pas duré plus de deux semaines, mais elle m’avait déglingué le corps autant que les méninges. Le gars, Greg, avait la libido complètement détraquée. Quatre ou cinq fois par jour, à la vitesse de la lumière, mais avec la force d’un bulldozer. J'avais systématiquement l’impression d’avoir été changée en boule de flipper. Lui par contre, semblait si content, que j’avais culpabilisé à mort, n’osant pas mettre un terme prématuré à cette relation. Finalement, ayant percuté que moi ou une autre, ça lui était bien égal, j’avais pris mes jambes à mon cou, faisant vœu d’abstinence pour les six prochains mois – à vingt-quatre ans, ça n’allait pas me faire de mal !
C’était la raison pour laquelle, ce soir-là, j’étais bien décidée à ne pas bousiller mes plans de célibataire en quête de tranquillité amoureuse. Daphnée pourrait bien me présenter Brad Pitt si ça lui chantait, je ne changerais pas d’avis.
Ma copine a sonné à dix-huit heures trente. À peine entrée, elle s’est engouffrée en filant tout droit dans la cuisine. J’ai réprimé un « Fais comme chez toi ! » tout en refermant la porte derrière elle.
Daphnée portait une robe ultra sexy : fuchsia, lui arrivant à mi-cuisses, avec un décolleté à vous donner le torticolis. Vingt-trois ans, grande, blonde, d’allure sportive, les yeux bleu nuit et les cheveux courts, avec une bouche en cœur toute rose même sans rouge à lèvres. Ouais, cette fille avait du chien, avec ou sans mini-robe.
— J’adore ta tenue ! m’a-t-elle lancé en ouvrant le frigo.
Elle en a sorti une bouteille de lait, puis elle a rempli la bouilloire avant de récupérer un mug sur l’étagère.
— Je me fais un thé. Tu n’as rien à becter ? J’ai l’estomac dans les talons.
Blasée, je suis allée chercher le saladier resté dans le salon et le lui ai tendu. Je n’avais plus faim. Elle l’a regardé avec un air dédaigneux.
— Ah oui, c’est vrai… tu es végétarienne. Dommage, j’aurais bien mangé un morceau de bidoche.
— Daphnée, ai-je commencé, passablement irritée, je travaille demain et on a deux heures de route. Tu penses qu’on pourrait partir rapidement ?
— Felicity Atcock… Moi aussi, je bosse demain. Sois cool, ma grande, on a la vie devant nous. On n’est pas pressées. Si j’arrive avec une demi-heure de retard, ce n’est pas la fin du monde, si ?
Sois cool ? C’était la meilleure ! Il n’y avait pas plus cool que moi, ou plus stupide… tout dépend du point de vue.
— Tu sais ce qui serait cool, Daphnée ? ai-je rétorqué. Que tu fasses réparer ta voiture et que je n’aie plus à te servir de chauffeur. (Elle m’a tiré la langue.) Comment es-tu venue jusqu’ici, au juste ?
Je vivais quand même à Weston, une petite ville à environ trois kilomètres de Bath, où habitait Daphnée.
— Taxi, m’a-t-elle répondu, la bouche pleine.
— Tu sais qu’il existe des bus et des trains pour se rendre à Londres ?
— Ouais, a-t-elle marmonné, mais vu l’heure, je serai en retard. Et si je rentre en pleine nuit, ce sera compliqué… Et puis j’ai envie d’y aller avec toi.
Je ne pouvais espérer douter de sa sincérité. Daphnée détestait faire des trucs toute seule. Même pour sa pause pipi, au boulot, elle réclamait une assistance. Sans rire ! Avec mes collègues, c’est souvent qu’on se retrouvait à lui tenir la porte, alors que le verrou n’était absolument pas cassé !
— C’est quoi ton rencard ?
Elle a papillonné des yeux, façon Betty Boop, une moue sexy déformant ses lèvres.
— Un nouveau mec ? ai-je insisté.
— Bingo !
— Tu l’as rencontré où, celui-là ?
C’était le troisième en un mois. Si je le savais, c’était que j’avais joué les chaperons à chaque fois.
— Sur Internet.
— Et c’est encore moi que tu embarques dans ton histoire ? Et si c’est un détraqué ?
Elle a fait mine de se lisser les sourcils.
— C’est pour ça que je te demande de venir avec moi. Tu es ceinture noire de karaté.
J’ai failli m’étrangler.
— N’importe quoi ! Je fais du Hatha-yoga. Ha-tha-Yo-ga, ai-je articulé bien distinctement.
— C’est pareil.
— Mais non ! me suis-je écriée. Ça n’a rien à voir.
Elle a haussé les épaules en vidant son mug.
Daphnée était le genre de fille qui faisait des raccourcis pour tout et ça pouvait être très gênant. Comme la fois où elle m’avait présentée à l’un de ses amis en affirmant que je faisais partie d’un mouvement tantrique. D’ailleurs, je m'échine encore à trouver d’où elle avait bien pu sortir un truc pareil. Étrangement, le type n’avait plus montré aucun intérêt à Daphnée. Il avait passé le plus clair de son temps à essayer de savoir si j’atteignais le paroxysme de l’épanouissement plus par le sexe ou par l’esprit. Non mais de quoi je me mêle ? On se connaissait depuis moins de dix minutes !
— Tu ferais bien de t’ôter de l’idée que je puisse te servir de garde du corps, Daphnée. D’abord, j’ai de la bouillasse dans les bras, et ensuite, ces temps-ci, j’ai la guigne.
Et c’était rien de le dire… Dans la semaine, je m’étais retrouvée à vider mon porte-monnaie au supermarché sous la pression d’un type qui menaçait les clients avec un vieux couteau suisse. OK, l’affaire avait vite été réglée par le vigile, il n’empêche que, comme par hasard, je m’étais trouvée dans le coin.
— La guigne ? s’est exclamée Daphnée avec enthousiasme. Comme c’est excitant ! Moi, j'attire les situations pas possibles. Je sens qu’on va s’éclater !
Qu’aurais-je bien pu ajouter ?
Rien.
Dix minutes plus tard, nous étions parties.

 

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