Je suis migrant. Je viens de loin.

Posté le 4 mars 2017

Cet après-midi, pour la deuxième fois, je suis allée à la rencontre des jeunes migrants isolés et accueillis par la MECS de l'Artois. L'objectif de notre rencontre est de leur permettre de parler et de poser sur le papier des bribes de leur vie, leurs souvenirs, leurs coups de coeur et leurs coups de gueule. Personne ne les pousse ou ne les guide dans un sens ou dans un autre, ils parlent de ce qu'ils veulent, ils définissent le rythme et l'intensité des discussions. Au début, j'avais l'intention de les sortir de leur quotidien en leur permettant d'exprimer des choses joyeuses, un peu folles, des rêves peut-être, de vieux souvenirs heureux, mais ils souhaitent tous revenir sur la raison pour laquelle ils se retrouvent en France, et sur ce qu'ils ont vécu pour trouver ce qui représente le saint Graal à leurs yeux : la liberté.

Nous étions neuf autour de la table : Mohammad, Izaak, Abelkarim, Slimane, Sherafat, Yaman, Aussin, Love jeune française, et moi.

Je les ai écoutés, ignorant la barrière de la langue, faisant fi des mots prononcés dans le mauvais ordre. Peu importe, ils avaient envie de s'exprimer !

Que dire ? Que dire de leur humilité, de leur  force et de la dimension inconcevable de ce qu’ils ont vécu ? Comment vous transmettre leur clairvoyance sans en faire trop, sans laisser transparaître mon émotion et aller au plus juste ? Ils savent ce qu’ils font, qui ils sont, ce qu’ils ont fui et ce qui les attendent « Une vie à se battre. Aujourd’hui, on est jeunes, on nous accepte un peu, mais demain, adultes, on nous rejettera encore. Je sais déjà ce que c’est. » (Abdelkarim, tchadien, 19 ans).

Il le sait. Il en a conscience et il a raison. Jour après jour, comme vous, je fais face à des hordes d’imbéciles qui inondent les réseaux sociaux, accusent sans savoir, montrent du doigt, crachent sur ces migrants qui prennent trop de place, qui font tache dans le décor. Ils font du mal en croyant devoir se protéger d'eux. Abdelkarim sait qu'il devra travailler plus que les autres pour y arriver, à défaut de ne pas avoir la même couleur de peau que moi, à défaut de ne pas être né en France. Si seulement je pouvais être en train d'exagérer ça...

Regardez, Mme la Maire de Calais est allée jusqu’à interdire qu’on leur offre des repas. Il ne faudrait pas que les migrants pullulent, vous comprenez. Je crois qu’elle n’a pas conscience du nombre de fois où ils ont déjà failli mourir de faim, qu’elle n’a pas compris que dans son lit, quand elle est au chaud sous sa couette, le ventre repu et gras, ailleurs, on se fait brûler, écorcher, démembrer et violer, et que c’est ce pour quoi on rêve d’un pays comme la France. Elle n’a pas saisi que c’est au péril de leur vie, que ces migrants pestiférés parcourent des milliers de kilomètres à pied, en train dans la clandestinité, en bateau, serrés et affamés, pour avoir une chance de vivre comme tout le monde. Et elle se trompe en voulant protéger sa petite ville implantée dans notre beau pays. L’objectif de ces oiseaux migrateurs n’est ni la France ni l’Angleterre, l’objectif c’est « Un endroit calme, où on est sécurité, où on a le droit d’être enfant et de chanter, où on peut être soigné quand on a mal, où on a le droit d’être noir, blanc et où on peut dormir sans avoir peur. » (Aussin, Tchadien, 14 ans).

Ils sont tellement à côté de la plaque tous ces gens... Du moins, c’est ce que je préfère me dire, qu’ils sont aveuglés, ne se doutent pas une seule seconde de ce que ces mômes ont vécu et de tout ce qu’ils ont à reconstruire sans jamais réussir à oublier ce qui leur est arrivé. Ils ne peuvent pas être aussi mauvais, ces compatriotes n'est-ce pas ?

Aussi, aujourd’hui, à écouter Aussin et Mohammad, j’étais émue, brisée, en colère aussi, contre l’être humain qui peut être si pervers, retors et lâche… J’avais envie de les prendre dans mes bras, de leur montrer combien je suis triste, j’avais envie de pleurer devant eux aussi, mais je ne pouvais pas. Parce qu’ils veulent qu’on les traite normalement, pas qu’on ait pitié d’eux. Et du reste, ce n’est pas notre pitié qu’ils méritent, mais notre respect.

Alors j’ai souri, j’ai essayé de plaisanter, tâché de pas montrer combien j’ai honte qu’ici, en France, ils soient considérés comme des parasites, des moins que rien qui n’ont pas pu vivre un quart de ce qu’ils prétendent avoir vécu. Alors, toi qui lis ce statut et qui vois en leur histoire une vile manipulation visant à nous attendrir, mets-toi bien dans le crâne qu’ils se moquent de ton territoire, de tes richesses, de tes allocations familiales et du toit que tu as sur la tête, ce qu’ils veulent, c’est devenir des hommes et mériter les mêmes droits que toi.

« J’ai traversé l’Afghanistan, l’Iran et l’Europe, seul, parce que je veux être un homme libre. Je ne veux pas que les Talibans, Daesh ou qui que ce soit me soumette. Je suis un enfant et je veux mourir libre. » (Mohammad, 14 ans).

14 ans… Haut comme trois pommes, seul et frêle.

Souvenez-vous-en.

14 ans.

 

 

 

 

  • Marion Prestige-Origine a dit (13 mars 2017)

    Difficile, même pour des écrivains de mettre des mots sur ce que l'on ressent à ce sujet. Impossible, même, quand on n'a pas vécu ce qu'ils ont vécu. Et triste de voir que la société ne changera pas de mentalité dans un futur proche ...
    Certains ne voient pas que ce ne sont que des enfants ayant vu et vécu plus de choses que nous ne vivrons dans notre vie entière!

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